jeudi 12 août 2010

A ma place

Parfois me reviennent des mots de cette histoire. Je marche dans la rue, je nage dans l'eau trouble d'une piscine parisienne, et je pense non pas à lui mais à un discours sur lui, ou parfois pour lui. C'est comme si j'étais tantôt le narrateur de cette histoire, tantôt l'auteur de lettres qu'il ne recevra jamais. Cette histoire est bel et bien finie, depuis trois mois. C'est peu trois mois, et c'est beaucoup en même temps. Car je l'ai beaucoup - et mal certes - aimé ; et que j'ai très peu le désir de le revoir. Il est mort pour moi en tant qu'être. Je ne veux plus rien de lui, et plus définitif encore : ne plus rien lui donner. Il est un souvenir dans lequel se perdre, un texte à interpréter, une maladie qu'il faut éviter de contracter une deuxième fois. De tous mes amours, pourquoi est-ce celui-ci que je trouve aujourd'hui le plus regrettable, le plus humiliant, le plus dégoûtant ? Est-il plus honteux que d'autres amants ? Ou simplement plus beau ? Comment ai-je pu m'attacher à ce point à quelqu'un qui, de façon si évidente, grossière, n'était pas pour moi - et aller aussi loin dans la haine de moi ?

La plupart des gens n'ont fait que m'effleurer, une caresse inconséquente ; rares sont ceux qui m'ont élevé, et c'est dans ces rencontres amoureuses - ou amicales peu importe - qu'on est certain d'avoir été là où on devait être, avec les bonnes personnes ; enfin encore plus rares, au point de se compter sur les doigts d'une main, sont ceux qui m'ont avili, qui ont fait de moi moins que ce que j'étais, car même dans les souffrances sociales, les humiliations de la vie quotidienne, nous sommes sauvés par un apprentissage "sur le tas", une haine aussi immédiate qu'éphémère, qui se clôt sur elle-même - ce sont des sentiments unis que le souvenir balaie d'un revers de la main et nous n'avons rien perdu avec cette haine aussi efficace qu'un clignement d'œil pour faire partir un cil qui incommode notre vision.

J'aimerais ne plus l'aimer du tout et ne plus nous en vouloir, à lui comme à moi, de cet amour malade. Ainsi, j'aurais eu raison de l'aimer (c'était un type bien, comme on dit), et je ne souffrirai plus de cet amour impossible. Parfois j'atteins pour lui une forme de tendresse, mais je vois bien qu'elle se charge, hélas, d'un mépris paternaliste, parfois même - et c'est le sentiment le plus difficile à ressentir - d'une pure et entière pitié.

Depuis peu, il m'ait arrivé de l'oublier. Des jours entiers. Des nuits de pleine lune sans cauchemars de lui, sans rêves durant lesquels je sens son corps se coller au mien, son érection contre moi. Quand je me rends compte que je l'ai oublié, je suis pris d'un bonheur enfantin, dont la puérilité m'étonne ; et c'est bien sûr à ce moment précis que je me souviens de lui et que commence le discours tourbillonnant, que se met en marche la machine à réécrire les souvenirs. Si quand je ne pense pas à lui, je suis bien - la question de l'amour et du malheur n'a pas frappé à ma porte, encore -, quand je repense à lui, alors que suis-je ? Un vengeur, un amoureux, un malade, un fou ? C'est parce que ces sentiments sont moins forts aujourd'hui, l'oscillation entre le haut et le bas de plus en plus proche d'une platitude qui lui ferait beaucoup de peine, à lui mon bel orgueilleux, que je peux écrire ces mots. Me libérer. Exister. Être à ma place.

vendredi 23 juillet 2010

Déclaration d'amour (mathématique)


Le vertige. C'est ce que je me dis tout le temps en ce moment. L a remplacé A qui a remplacé Y. Une page a été tournée, une odeur oubliée, un corps a effacé un autre corps. Je hais l'oubli. Quand donc cette inexorable ligne des amours nouvelles cessera-t-elle ? Je ne veux plus aimer. Plus aimer d'autres. Si seulement j'avais pu être l'homme de Y à vie. Je ne veux plus avoir aimé A, je m'en veux de cette aventure qui est devenue une histoire qui est devenue moi. J'aimerais même parfois ne pas avoir rencontré L, qu'aujourd'hui j'aime pourtant et qui me rend heureux ; car il est aussi le témoin et la preuve de mon inconstance, ou peut-être même de celle du temps. En L, je vois déjà D, V, K, Z qui le remplaceront et se remplaceront les uns les autres, et je trouve cela effrayant, vertigineux. Je veux m'arrêter, ne rien oublier.

Je pensais ne jamais pouvoir vivre sans Y - pendant 8 ans, c'est ce que j'ai pensé.

Je pensais ne jamais pouvoir vivre sans A - pendant 9 mois c'est ce que j'ai pensé, 9 mois pendant lesquels j'ai presque oublié Y.

L en effaçant A m'a redonné Y. Maintenant je suis le Y de L, celui que je n'ai pas réussi à être pour A. Je suis donc à jamais mon amour pour Y. C'est ce qui me sauve du néant. Et c'est encore à Y que je le dois.

vendredi 28 mai 2010

8 ans, 9 mois et 7 heures


Je l'ai vu un dimanche de mai.

Je ne l'ai vu que quatre fois depuis notre rupture parce qu'il ne voulait pas. Ce dimanche-là, nous avons passé sept heures ensemble. Nous avons enfin parlé de la fin de notre histoire, sans gêne. Et je me suis mis à pleurer. Lui aussi. Il était ému que je sois ému. Alors j'ai pleuré pendant presque trois heures de façon ininterrompue, et puis j'ai encore pleuré seul en rentrant chez moi tard dans la nuit...

Est-ce que j'étais si triste que ça ? Je crois que c'était surtout une émotion trop longtemps refoulée qui submergeait mon corps. Le deuil à faire n'était pas celui de mon grand amour nouvellement perdu, mais c'était le sien, celui de mon amour de huit ans ; un deuil que j'avais tout fait pour fuir en me jetant dans les bras d'un autre, d'une passion.

Soudain, ma vie de ces neuf derniers mois me sembla très lointaine, les moments pourtant si intenses de joie et de souffrance s'affaiblirent, et cette relation de huit ans revint en un vertige, aussi vif qu'un clignement d'œil ; en une vague, tout est revenu : je me suis souvenu de nos voyages, de nos orgasmes, de nos disputes, de nos fêtes, de nos moments de tendresse le soir devant un dvd, de nos retrouvailles après les moments de froid, de sa voix si douce au téléphone quand nous étions loin, de nos échecs aussi, et de son regard sur moi, un regard qui me couvait, et de notre premier regard surtout, dans cette boite de nuit kitsch... Oui, en un instant, ce fut comme si le temps n'existait pas, que tout - huit années de vie - était réuni en un accéléré terrifiant et sublime de quelques instants.

Pour la première fois depuis neuf mois, je me sentis UN. C'était comme si cette crise de larmes devant lui et sa réponse - le fait qu'il n'ait pas changé, qu'il soit si beau, si intelligent, si généreux - m'avaient rendu à moi-même. Oui, je l'ai aimé, et celui qui l'a aimé est toujours moi, vivant, même si cet amour a pris une autre forme.

Ce dimanche-là, son regard, son amour a remplacé le chaos qu'était ma vie par l'ordre.

Je suis absolument persuadé à cet instant que dans très peu de temps je vais être heureux à nouveau. Ça y est, je suis déjà heureux.

lundi 24 mai 2010

Réécrire


Réécrire ? Oui, mais pour qui ? Pour quoi ? Depuis un an, ma vie est devenue mon œuvre. Un peu ratée comme œuvre, certes. Un roman de gare ? Pas tout à fait. J'ai tellement cru au romanesque ! J'ai cru qu'on pouvait vivre d'amour, par exemple. J'aurais pu en mourir de cette croyance. Car j'ai rencontré un garçon plus romanesque que moi, et je m'y suis brûlé les ailes - comme d'autres s'étaient brûlés à moi auparavant ? J'ai tout quitté pour lui, y compris mon amour de 8 ans. Et voilà 9 mois après, c'est un accouchement, mais pas celui escompté, c'est celui de ma solitude. Se retrouver seul pour la première fois de ma vie d'homme. Est-ce mal de ne plus vouloir aimer ? De ne plus être amoureux de l'amour ? Le vertige reviendra-t-il ? Et si je ne suis plus celui qui aimait et était aimé, alors qui est cet inconnu dans le miroir ?

mercredi 18 mars 2009

le bonheur


Il faudra un jour que je dise l'impossibilité d'aimer deux personnes en même temps, la beauté de cette impossibilité, que le plus grand des bonheurs peut être inséparable du plus grand des malheurs, que je dise aussi le sentiment de la mort qui rôde derrière tout grand amour et la liberté, immense, effrayante et salutaire, de la perte d'un grand amour, et puis les retrouvailles, oui, il ne faudra pas oublier les retrouvailles, le quatrième temps de l'amour selon Godard, quand on a cru qu'on avait tout perdu et qu'on retrouve un vieil amour comme un premier jour de soleil du printemps.

samedi 11 octobre 2008

embrasser toutes les heures (faces)


J'aimerais relire chaque livre, revoir chaque film, rejouer chaque musique que j'ai aimés, ceux qui font partie de moi. J'aimerais partager mes passages (tel paragraphe des Vagues), mes extraits (tel plan de Faces), mes airs (telle ouverture de Wagner) avec les gens que j'aime, qui me comprennent, ou parfois même, m'aiment sans me comprendre. Je n'ai jamais fait de différence entre les personnes et les œuvres. A un moment de ma vie, un livre, un film, une musique (un tableau, etc.) me bouleverse, de même que ce que dit un être me semble inédit et tellement proche à la fois. Tout est une question d'âme, un accord secret comme une mélodie où soudain la musique se fond dans l'image... J'ai été ému aujourd'hui de voir la douce présence des mes amis. Et puis je relis Sénèque, ce qui m'aide toujours. Pour la première fois depuis longtemps, et bien que je me sente très fatigué, je suis apaisé.

...
"Certains moments nous sont retirés, certains dérobés, certains filent. La perte la plus honteuse pourtant est celle que l'on fait par négligence. Veux-tu y prêter attention : une grande partie de la vie s'écoule à mal faire, la plus grande à ne rien faire, la vie toute entière à faire autre chose.
Quel homme me citeras-tu qui mette un prix au temps, qui estime la valeur du jour, qui comprenne qu'il meurt chaque jour ? C'est là notre erreur, en effet, que de regarder la mort devant nous : en grande partie, elle est déjà passée ; toute l'existence qui est derrière nous, la mort la tient. Fais donc, mon cher Lucilius, ce que tu écris que tu fais, embrasse toutes les heures ; de la sorte, tu dépendras moins du lendemain quand tu auras mis la main sur aujourd'hui. Pendant qu'on la diffère, la vie passe en courant"
Sénèque, Lettres à Lucilius, Lettre 1 (extrait)

mardi 7 octobre 2008

these days


Now that it's time
Now that the hour hand has landed at the end
Now that it's real
Now that the dreams have given all they had to lend
I want to know do I stay or do I go
And maybe try another time
And do I really have a hand in my forgetting ?

Now that I've tried
Now that I've finally found that this is not the way,
Now that I turn
Now that I feel it's time to spend the night away
I want to know do I stay or do I go
And maybe finally split the rhyme
And do I really understand the undernetting ?

Yes and the morning has me
Looking in your eyes
And seeing mine warning me
To read the signs carefully.

Now that it's light
Now that the candle's falling smaller in my mind
Now that it's here
Now that I'm almost not so very far behind
I want to know do I stay or do I go
And maybe follow another sign
And do I really have a song that I can ride on ?

Now that I can
Now that it's easy, ever easy all around.
Now that I'm here
Now that I'm falling to the sunlights and a song
I want to know do I stay or do I go
And do I have to do just one
And can I choose again if I should lose the reason ?

Yes, and the morning
Has me looking in your eyes
And seeing mine warning me
To read the signs more carefully.

Now that I smile,
Now that I'm laughing even deeper inside.
Now that I see,
Now that I finally found the one thing I denied
It's now I know do I stay or do I go
And it is finally I decide
That I'll be leaving
In the fairest of the seasons.

Nico, The fairest of the seasons
Mes seuls moments de bonheur, je les dois à l'alcool. J'avais oublié comme il était bon de le laisser couler dans les veines. Le temps n'existe plus, la nuit nous appartient, il n'y a plus que des regards chatoyants, comme des anges qui se posent sur mes lèvres pour effacer le passé, un impossible pardon. Le lendemain, bien sûr, la gueule ouverte comme celle d'un chien en train de crever qu'il faut remplir à flots, pour recommencer jusqu'à la nuit des temps.
I've been out walking
I don't do too much talking
These days, these days.
These days I seem to think a lot
About the things that I forgot to do
And all the times I had the chance to.

I've stopped my rambling,
I don't do too much gambling
These days, these days.
These days I seem to think about
How all the changes came about my ways
And I wonder if I'll see another highway.

I had a lover,
I don't think I'll risk another
These days, these days.
And if I seem to be afraid
To live the life that I have made in song
It's just that I've been losing so long.
La la la la la, la la.

I've stopped my dreaming,
I won't do too much scheming
These days, these days.
These days I sit on corner stones
And count the time in quarter tones to ten.
Please don't confront me with my failures,
I had not forgotten them.

Nico, These days

vendredi 26 septembre 2008

esclave, le temps


Avant je me taisais. Je ne disais rien quand on enviait ma situation professionnelle. Quelle liberté ! Que j'aimerais faire comme toi ! Travailler de chez moi, fixer mes propres horaires, partir quand bon me semble... Maintenant j'ose le dire : c'est plus que difficile de n'avoir d'autre maître à détester que soi-même. Les humains deviennent des entités abstraites qui tournent comme les ailes du moulin en se renvoyant une balle invisible (comme à la fin de Blow up)

Ma situation, c'est certain, m'a donné les plus grandes joies. Par un après-midi estival, marcher dans Paris avec un ami, jouir des changements de lumière sur le parvis en sirotant un verre de n'importe quoi, chercher la beauté secrète des films, des tableaux, faire l'amour, écrire et lire des mots doux - se les répéter. Le regard ainsi libéré se fait caresse. Cet état d'abandon fut inégalable, car le bonheur a rarement conscience d'être bonheur ; et celui-ci était tout à la fois, le bonheur et son intelligence. Un instant suspendu qui durait, en somme. Cela devrait être interdit : c'est injuste d'avoir été si heureux...

A cet instant, pourtant, je vois bien que ma liberté est une fenêtre ouverte sur la plus grande des prisons, un esclavage souterrain et séduisant loin d'un bureau kafkaïen. Comment leur dire que ma liberté est un champ, que derrière le champ, il y a une forêt, qui cache un autre champ, qui cache une autre forêt, qui cache... Parfois j'ai tout de même envie de courir, de précipiter ma chute pour être vraiment perdu. Ailleurs. Loin. Pour voir - comme dirait un joueur de poker.

Mais voir quoi au juste ? Si dans un autre champ très loin, je ne pourrais pas, par hasard, être un peu meilleur et m'aimer un peu mieux ?